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Victor Hugo, "Pour la Serbie !".

02-11-2013 02:48:38 | | Archives du Parlement Français/ mojenovosti.com |

Ce fait, le voici : on assassine un peuple. Où ? En Europe. Ce fait a-t-il des témoins ? Un témoin, le monde entier. Les gouvernements le voient-ils ? Non. Les nations ont au-dessus d'elles quelque chose qui est au-dessous d'elles les gouvernements. A de certains moments, ce contre-sens éclate : la civilisation est dans les peuples, la barbarie est dans les gouvernants. Cette barbarie est-elle voulue ? Non ; elle est simplement professionnelle. Ce que le genre humain sait, les gouvernements l'ignorent. Cela tient à ce que les gouvernements ne voient rien qu'à travers cette myopie, la raison d'état ; le genre humain regarde avec un autre œil, la conscience.

Nous allons tonner les gouvernements europens en leur apprenant une chose, c'est que les crimes sont des crimes, c'est qu'il n'est pas plus permis un gouvernement qu' un individu d'tre un assassin, c'est que l'Europe est solidaire, c'est que tout ce qui se fait en Europe est fait par l'Europe, c'est que, s'il existe un gouvernement bte fauve, il doit tre trait en bte fauve ; c'est qu' l'heure qu'il est, tout prs de nous, l, sous nos yeux, on massacre, on incendie, on pille, on extermine, on gorge les pres et les mres, on vend les petites filles et les petits garons ; c'est que, les enfants trop petits pour tre vendus, on les fend en deux d'un coup de sabre ; c'est qu'on brle les familles dans les maisons

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Victor Hugo

C'est que telle ville, Balak, par exemple, est rduite en quelques heures de neuf mille habitants treize cents ; c'est que les cimetires sont encombrs de plus de cadavres qu'on n'en peut enterrer, de sorte qu'aux vivants qui leur ont envoy le carnage, les morts renvoient la peste, ce qui est bien fait ; nous apprenons aux gouvernements d'Europe ceci, c'est qu'on ouvre les femmes grosses pour leur tuer les enfants dans les entrailles, c'est qu'il y a dans les places publiques des tas de squelettes de femmes ayant la trace de l'ventre-ment, c'est que les chiens rongent dans les rues le crne des jeunes filles violes, c'est que tout cela est horrible, c'est qu'il suffirait d'un geste des gouvernements d'Europe pour l'empcher, et que les sauvages qui commettent ces forfaits sont effrayants, et que les civiliss qui les laissent commettre sont pouvantables. Le moment est venu d'lever la voix.


Soldat, paysan, Serbe

L'indignation universelle se soulve. Il y a des heures o la conscience humaine prend la parole et donne aux gouvernements l'ordre de l'couter. Les gouvernements balbutient une rponse. Ils ont dj essay ce bgaiement. Ils disent : on exagre. Oui, l'on exagre. Ce n'est pas en quelques heures que la ville de Balak a t extermine, c'est en quelques jours ; on dit deux cents villages brls, il n'y en a que quatre vingt-dix-neuf ; ce que vous appelez la peste n'est que le typhus ; toutes les femmes n'ont pas t violes, toutes les filles n'ont pas t vendues, quelques-unes ont chapp. On a chtr des prisonniers, mais on leur a aussi coup la tte, ce qui amoindrit le fait ; l'enfant qu'on dit avoir t jet d'une pique l'autre n'a t, en ralit, mis qu' la pointe d'une baonnette ; o il y a une vous mettez deux, vous grossissez du double ; etc., etc., etc. Et puis, pourquoi ce peuple s'est-il rvolt ? Pourquoi un troupeau d'hommes ne se laisse-t-il pas possder comme un troupeau de btes ? Pourquoi ? ... etc. Cette faon de pallier ajoute l'horreur. Chicaner l'indignation publique, rien de plus misrable. Les attnuations aggravent. C'est la subtilit plaidant pour la barbarie. C'est Byzance excusant Stamboul. Nommons les choses par leur nom. Tuer un homme au coin d'un bois qu'on appelle la fort de Bondy ou la fort Noire est un crime ; tuer un peuple au coin de cet autre bois qu'on appelle la diplomatie est un crime aussi. Plus grand. Voil tout. Est-ce que le crime diminue en raison de son normit ? Hlas ! C'est en effet une vieille loi de l'histoire. Tuez six hommes, vous tes Troppmann ; tuez-en six cent mille, vous tes Csar. tre monstrueux, c'est tre acceptable. Preuves : la Saint-Barthlemy, bnie par Rome ; les dragonnades, glorifies par Bossuet ; le Deux-Dcembre, salu par l'Europe.


Gnral Serbe Mišić et le gnral Franais Franche d'Esprey

Mais il est temps qu' la vieille loi succde la loi nouvelle ; si noire que soit la nuit, il faut bien que l'horizon finisse par blanchir. Oui, la nuit est noire ; on en est la rsurrection des spectres ; aprs le Syllabus, voici le Koran ; d'une Bible l'autre on fraternise ; jungamus dextras ; derrire le Saint-Sige se dresse la Sublime Porte ; on nous donne le choix des tnbres ; et, voyant que Rome nous offrait son moyen ge, la Turquie a cru pouvoir nous offrir le sien. De l les choses qui se font en Serbie. O s'arrtera-t-on ? Quand finira le martyre de cette hroque petite nation ? Il est temps qu'il sorte de la civilisation une majestueuse dfense d'aller plus loin. Cette dfense d'aller plus loin dans le crime, nous, les peuples, nous l'intimons aux gouvernements. Mais on nous dit : Vous oubliez qu'il y a des questions. Assassiner un homme est un crime, assassiner un peuple est une question. Chaque gouvernement a sa question ; la Russie a Constantinople, l'Angleterre a l'Inde, la France a la Prusse, la Prusse a la France. Nous rpondons : L'humanit aussi a sa question ; et cette question la voici, elle est plus grande que l'Inde, l'Angleterre et la Russie : c'est le petit enfant dans le ventre de sa mre. Remplaons les questions politiques par la question humaine. Tout l'avenir est l. Disons-le, quoiqu'on fasse, l'avenir sera. Tout le sert, mme les crimes. Serviteurs effroyables. Ce qui se passe en Serbie dmontre la ncessit des tats-Unis d'Europe. Qu'aux gouvernements dsunis succdent les peuples unis. Finissons-en avec les empires meurtriers. Muselons les fanatismes et les despotismes. Brisons les glaives valets des superstitions et les dogmes qui ont le sabre au poing. Plus de guerres, plus de massacres, plus de carnages ; libre pense, libre change ; fraternit. Est-ce donc si difficile, la paix ? La Rpublique d'Europe, la Fdration continentale, il n'y a pas d'autre ralit politique que celle-l. Les raisonnements le constatent, les vnements aussi. Sur cette ralit, qui est une ncessit, tous les philosophes sont d'accord, et aujourd'hui les bourreaux joignent leur dmonstration la dmonstration des philosophes.


Exode des Serbes du Kosovo et Methochie (huile Paja Jovanović)

A sa faon, et prcisment parce-qu'elle est horrible, la sauvagerie tmoigne pour la civilisation. Le progrs est sign Achmet-Pacha. Ce que les atrocits de Serbie mettent hors de doute, c'est qu'il faut l'Europe une nationalit europenne, un gouvernement un, un immense arbitrage fraternel, la dmocratie en paix avec elle-mme, toutes les nations soeurs ayant pour cit et pour chef-lieu Paris, c'est--dire la libert ayant pour capitale la lumire. En un mot, les tats-Unis d'Europe. C'est l le but, c'est l le port. Ceci n'tait hier que la vrit ; grce aux bourreaux de la Serbie, c'est aujourd'hui l'vidence. Aux penseurs s'ajoutent les assassins. La preuve tait faite par les gnies, la voil faite par les monstres. L'avenir est un dieu tran par des tigres.

Assemble Nationale Paris, 29 aot 1876.